Économie

Faire passer le mot

Par Ruari McCallion

Septembre 2024

Avancées et enjeux de la palettisation

La palettisation a évolué, s’est développée et a pris de l’ampleur depuis le dernier article d’Eureka abordant la question. Les réseaux couvrent désormais des continents entiers, la technologie permet aujourd’hui d’accélérer le flux et la visibilité des marchandises, et les réseaux routiers, en nette amélioration, en ont fait le premier choix de nombreux responsables de la chaîne logistique.
Ruari McCallion y revient à pleine charge.

La dernière fois que nous avons abordé le sujet de la palettisation dans le magazine Eureka – il y a 15 ans, en 2009 – le concept, alors moins cher, plus rapide, plus flexible et plus pratique que le transport de charges complètes ou de colis, avait déjà pris son essor au Royaume-Uni. Il était également de plus en plus en vogue en Europe continentale.

Palletways exploite aujourd’hui 17 hubs dans 20 pays, et plus de 400 dépôts. En 2009, l’entreprise en comptait environ 250, soit une nette augmentation par rapport aux 120 qu’elle totalisait au début du siècle. L’entreprise Palletline a également dépassé ses origines britanniques et déplace désormais cinq millions de palettes par an à travers l’Europe.

À l’époque, nous observions déjà des signes de consolidation sur le marché. Les grands acteurs s’installaient, reprenaient des entités régionales, voire nationales, et construisaient des réseaux paneuropéens. Palletforce, basée à Burton-on-Trent dans les Midlands, fait désormais partie de la plateforme logistique mondiale EV Cargo, par exemple.

EV Cargo, dont le siège est à Hong Kong, opère dans 150 pays et pèse aujourd’hui 1,5 milliards de dollars. Au Royaume-Uni, l’entreprise traite chaque semaine plus de 100 000 palettes destinées au marché intérieur et jouit d’une présence marquée auprès des PME.

La technologie au service d’une meilleure visibilité

Ce rattachement de Palletforce à une entreprise internationale souligne le caractère désormais mondial de la palettisation. La technologie est un facteur commun à la croissance des réseaux en Europe, en Amérique du Nord, en Asie, en Australie et ailleurs. Des sociétés informatiques comme Oracle proposent un suivi en temps réel et planétaire des chaînes logistiques équipées de la technologie RFID.

Grâce au cloud, les données relatives au transport et au suivi peuvent être consultées partout et à tout moment. Mais tout cela est sans intérêt si les différences de législations et de normes provoquent l’immobilisation des camions à chaque frontière internationale.

En Europe, la normalisation transfrontalière a été lancée en 1991 avec la création de la European Pallet Association (EPAL). Si la palette Europe – également appelée Europalette, EUR 1, palette EPAL ou encore palette EUR-EPAL – tombe aujourd’hui sous le sens, il a néanmoins fallu un certain temps pour que sa taille (1 200 mm par 800 mm) devienne la norme commune dans l’UE. Au Royaume-Uni, les palettes peuvent être de type EUR 2, soit 1 000 mm par 1 200 mm, et c’est aussi le format le plus répandu en Asie. Les palettes nord-américaines sont légèrement différentes, mais très proches de la norme EUR 2. Celles d’Australie sont carrées et mesurent 1 165 mm x 1 165 m.

Heureusement qu’il y a des positionneurs de fourches !

Limiter les obstacles législatifs

Les États-Unis et le Canada disposent d’infrastructures de transport intégrées depuis la Seconde Guerre mondiale. Leurs réseaux de fret desservent l’ensemble du continent, au nord du Mexique. En Europe, l’harmonisation de la réglementation a permis de réduire le nombre de types de palettes à utiliser. Mais c’est loin d’être la seule raison expliquant la croissance des réseaux à l’échelle de l’Europe.

Des initiatives telles que l’union douanière de l’UE, l’accord de Schengen, le marché unique et le guichet unique douanier de l’UE permettent de faciliter les opérations transfrontalières et l’échange numérique d’informations commerciales essentielles. Les contrôles fondés sur le risque permettent de concentrer les efforts, y compris les contrôles aux frontières, sur les expéditions à haut risque, ce qui accélère l’acheminement des envois à faible risque. Le réseau né des accords de coopération douanière de l’UE permet d’échanger des informations en temps réel et, du moins en théorie, de réagir plus rapidement aux problèmes de conformité avérés ou supposés. L’UE propose également des formations régulières et des programmes de mise en conformité[1].

Wooden,Substrates,For,Moving,And,Transporting,Goods.,Warehousing,Pallets,For

La distribution palettisée continue de croître, de se développer et de s’adapter aux besoins d’aujourd’hui.

Les grands acteurs réclament des cargaisons plus importantes

La nature des réseaux de distribution palettisée a évolué. Pendant longtemps, l’un des principaux atouts du modèle de réseau en étoile – où des opérateurs locaux collectent, auprès d’entreprises diverses, de petits envois regroupés ensuite en cargaisons sur camions dans des hubs régionaux et nationaux – était qu’il était considéré comme une offre souple, maniable, adaptable, et pratique pour les PME. Ce sont elles qui constituent la majorité des entreprises des chaînes logistiques dans tous les secteurs d’activité et dans tous les pays. Ce modèle persiste, mais des entreprises de plus grande envergure, notamment des entreprises de niveau 1 et des équipementiers automobiles, prennent également des cargaisons complètes.

Puisque le modèle fonctionne bien, pourquoi le changer ? Il fonctionne bien, mais il y a des limites. Les livraisons de type « juste-à-temps » (JAT) en bord de ligne tendent à reposer sur des distributions plus fréquentes, mais plus petites. Toutefois, si l’on prend un peu de recul et que l’on se penche à nouveau sur les paradigmes de la production allégée, l’entrepôt ne devient un ennemi de cette production « au plus juste » que lorsqu’il n’est pas géré efficacement, lorsqu’une série de zones tampons s’ajoutent à une Supply Chain « saturée de stocks ».

Dans le livre The Machine that Changed the World, de James P Womack, Daniel T Jones et Daniel Roos, les entreprises de niveau 1 et équipementiers automobiles approvisionnaient des services JAT en  flux tendus à partir d’un supermarché – un entrepôt, mais géré de manière très efficace – où les approvisionnements étaient retirés de la ligne et livrés en bord de ligne au fur et à mesure des besoins. Dans ce cas, l’envoi mixte acheminé par camion vers l’équipementier est un mélange de composants tous destinés au même site, plutôt que des articles différents destinés à différents clients. Les charges palettisées peuvent être programmées pour une livraison finale à une ligne spécifique au moment de la sortie d’un modèle donné, mais le concept de consolidation des mélanges de produits dans des cargaisons uniques reste la base opérationnelle.

L’effet du Brexit

Alors que tout allait pour le mieux, et de mieux en mieux, le Brexit est venu mettre le feu aux poudres. Il ne fait aucun doute que le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne a entraîné une augmentation de la paperasserie, des déclarations en douane et des tâches administratives, et que les coûts ont augmenté sous l’effet des contrôles douaniers et de la nécessité de recourir à des courtiers en douane. (Un prochain article d’Eureka sur les contrôles transfrontaliers abordera ce sujet plus en détail).

Shelley Pierre IPP-1

Shelley Pierre, directrice commerciale, IPP.

Shelley Pierre, directrice commerciale de la société internationale de mise en commun de palettes IPP Pooling, filiale du groupe Faber, estime les coûts supplémentaires à environ 200 millions de livres sterling (237 millions d’euros). Les expéditions mixtes peuvent être particulièrement délicates, surtout si elles contiennent différents types de produits à haut risque provenant de différents producteurs. De prime abord, cela pourrait signifier la mort de la distribution palettisée pour les distributeurs de produits agricoles.

Ou peut-être pas.

Wyke Farms, un producteur laitier du Somerset, en Angleterre, a créé un nouveau centre de consolidation logistique qui contribue à réduire les retards et la paperasserie en collaborant avec d’autres producteurs, y compris des concurrents, et en consolidant les expéditions en chargements moins nombreux et plus volumineux. Cette mise en commun des ressources permet à Wyke Farms et à ses concurrents de partager les coûts. Ils utilisent des logiciels logistiques avancés pour gérer et suivre les expéditions, garantissant ainsi à tous les acteurs une visibilité en temps réel de l’état de leurs marchandises. La réussite de la collaboration passe par une grande confiance et pas moins de transparence, mais ils signent également des accords de non-divulgation et utilisent des communications chiffrées pour préserver la confidentialité des informations sensibles.

Wyke Farms opère toujours principalement à partir de ses locaux du Somerset, mais l’entreprise Hampstead Tea Company a délocalisé un entrepôt de stockage en Europe du Nord. Elle a ainsi pu développer une activité de vente directe au consommateur dans l’UE. Le cheveu sur la soupe ressemble peut-être davantage au corps étranger qui, dans l’huître, finit par produire une perle offrant une meilleure localisation, une coopération accrue et une efficacité améliorée.

Les besoins ont changé, mais le modèle de distribution palettisée continue de démontrer sa souplesse et sa capacité d’adaptation.

Ces articles pourraient également vous intéresser :

Palettisation (2009) (magazine, numéro 09, pages 7-8)

Démystifier les choix de palettes (2014)

bois-ou-plastique ? (2021)

[1] Favoriser la conformité des échanges transfrontaliers : l’approche stratégique de l’Europe – Conseil du commerce international.

Print