Économie

À l’aube d’un changement

Par Ruari McCallion

Mars 2020

La logistique doit s’adapter aux changements de comportement des consommateurs

L’évolution des habitudes d’achat des consommateurs exige que le secteur de la logistique et de la manutention s’adapte rapidement aux technologies de la quatrième révolution industrielle et qu’il les fasse siennes, écrit Ruari McCallion.

Vous pouvez mettre en cause une gestion inadéquate, vous pouvez blâmer des mauvais choix dans les décisions d’achat, tant il est vrai que ces deux aspects ont sans doute leur part de responsabilité dans le déclin de la vente en magasin. On peut même reprocher aux clients « d’acheter égoïstement des marchandises sur Internet », comme le fait le chef d’un conseil municipal provincial en Angleterre(1). Car il est exact que le commerce en ligne fait largement état d’une forte croissance, souvent à deux chiffres, ces dernières années.

Le détaillant en ligne Boohoo a déclaré qu’il était « heureux de confirmer » une hausse de son chiffre d’affaires de 43 %, à 564,9 millions de livres sterling au cours des six mois précédant le 31 août 2019. Le Royaume-Uni était le plus grand marché du commerce électronique(2) de l’UE des 28, alors que l’Allemagne, deuxième plus grande économie d’Europe, connaissait une quasi-stagnation de ses ventes au détail en magasin en 2019, et que le commerce électronique augmentait de 7,8 %. Au Royaume-Uni, les ventes en ligne ont généralement augmenté de 9,4 % en décembre 2019, par rapport au même mois de l’année précédente et de 11,3 % au quatrième trimestre, selon le dernier indicateur de performance « IMRG Capgemini Online Retail Index ». Boohoo a néanmoins qualifié de « décevant » le chiffre de 6,7 % de croissance des ventes en ligne sur l’ensemble de l’année, contre 11,8 % en 2018.

Décevant… peut-être pour certains, mais pas autant que la fermeture de milliers d’unités de vente au détail et le licenciement de dizaines de milliers d’employés.

A-Change_content_images_1.1

Don Marshall, responsable du commerce électronique et de la gestion optimisée des commandes, Exporta.

De la rue commerçante à la livraison à domicile

Tôt ou tard, il convient de regarder les choses en face. Il ne s’agit pas simplement de gestion inadéquate, pas plus que de médiocrité des décisions d’achat, ou encore d’une montée de la « conscience verte » accompagnée d’un déclin de la consommation, ni même d’un manque de coopération ou d’un malaise dont seraient affectés les clients. Le modèle d’achat et de livraison vit une période de bouleversement. Ce changement est encore plus radical que l’essor des hypermarchés et des supermarchés dans le passé, et son impact sera plus fort.

Le modèle actuel des grands entrepôts livrant les magasins et grandes surfaces est dépassé par les événements, et les prestataires de services logistiques doivent s’adapter.

« La croissance du secteur de la livraison à domicile a été frénétique et, parallèlement, les demandes concernant des délais de livraison précis et des créneaux horaires étroits ont stimulé l’investissement et le développement des technologies permettant d’y faire face. L’efficacité de la chaîne d’approvisionnement est essentielle », déclare Don Marshall, responsable du commerce électronique et du traitement des commandes chez Exporta, une société du groupe Anchorpoint, spécialisée dans les solutions de rayonnage, de rangement sur étagères, de transport et stockage sur palettes. « Les coûts logistiques de la livraison à domicile, surtout si l’on y ajoute les coûts des retours, sont élevés et beaucoup plus difficiles à gérer ».

Sous la houlette de Tesco, qui disposait du modèle de vente en ligne le plus fonctionnel d’Europe, les détaillants ont beaucoup travaillé pour rendre leurs chaînes d’approvisionnement plus efficaces et ont réussi à éliminer beaucoup de gaspillage. Don Marshall s’attend à ce que les détaillants continuent à travailler avec leurs sociétés logistiques tierces pour améliorer l’efficacité des opérations en magasin, en éliminant davantage de gaspillage et en passant à un modèle encore plus « juste à temps ». Cela leur permettra de réduire le niveau général des stocks, mais pour ce faire, ils devront investir dans de meilleurs systèmes de contrôle, de déplacement et de gestion des stocks.

Les coûts logistiques de la livraison à domicile sont élevés et beaucoup plus difficiles à gérer.

A-Change_content_images_1.2

Exporta est spécialisée dans les solutions de rayonnage, de rangement sur étagères et de transport et stockage sur palettes pour le monde logistique en pleine mutation d’aujourd’hui. Photo : Exporta

Prendre le chemin de la glocalisation

Neil Ballinger, directeur des ventes EMEA et responsable de la formation et du développement chez EU Automation, fournisseur d’automatismes industriels, parle de ce qu’il décrit comme la « chaîne d’approvisionnement “glocale” ».

« La glocalisation n’est pas vraiment une chose nouvelle, et les multinationales ont toujours été obligées d’adapter leur production aux demandes locales. Par exemple, les constructeurs automobiles doivent diversifier leur offre en fonction de réglementations spécifiques, les cas les plus évidents étant celui du choix du côté où placer le volant, et celui du compteur de vitesse est en miles ou en kilomètres par heure », dit-il. Le terme « glocalisation », s’il s’apparente à un synonyme de l’expression « penser global, agir local », va au-delà de ce concept, soutient-il.

« Ce qui est nouveau, c’est l’impact d’un modèle commercial “glocal” sur la gestion de la chaîne d’approvisionnement, les fabricants s’efforçant de mettre en œuvre une chaîne d’approvisionnement qui agit au niveau mondial tout en s’adaptant à la demande locale », dit-il. Les entreprises ont besoin de systèmes de distribution et de gestion des stocks qui permettent de suivre les produits à l’échelle mondiale, ce qui signifie qu’il convient d’offrir une visibilité sur tous les nœuds de la chaîne de valeur, quelle que soit la situation géographique. « Toutefois, ces systèmes doivent également être en mesure de s’adapter aux tendances locales, en prévoyant la demande de certains articles dans des lieux spécifiques, et en gérant les stocks en conséquence. La technologie d’automatisation peut aider à créer ce que l’on appelle une “chaîne d’approvisionnement cognitive”, où toutes ces opérations complexes sont entièrement numérisées ».

A-Change_content_images_1.3

Neil Ballinger, directeur des ventes EMEA et responsable de la formation, EU Automation.

La numérisation au service de la réactivité et de la flexibilité

La numérisation est absolument nécessaire, car un tel niveau de traçabilité et de flexibilité exige que les données sur le comportement des consommateurs soient analysées en temps réel et que la chaîne d’approvisionnement soit capable de déplacer rapidement les articles là où ils seront nécessaires. La quatrième révolution industrielle, avec ses unités connectées et numérisées à haute valeur ajoutée, ne se limite pas aux usines automatisées. La logistique et la gestion des entrepôts doivent suivre le mouvement. Mais les meilleurs systèmes de gestion n’apporteront pas la solution même si les acheteurs passent du modèle séculaire de déplacement physique vers les magasins et “d’achat après essai” à celui de l’achat à distance sur internet et à la commande livrée à domicile. Car la numérisation ne suffira pas à résoudre les problèmes auxquels doivent faire face les commerces de détail.

« Il est devenu évident que ne pas tenir compte de la production locale aura un impact négatif sur les affaires, et que cela entraînera des problèmes de fonctionnement et de chaîne d’approvisionnement », reconnaît volontiers Neil Ballinger. Parallèlement aux changements de comportement concernant les lieux d’achat, on voit de forts changements sur ce qu’il convient d’acheter, et cette tendance est renforcée par une prise de conscience écologique croissante, ce qui pourrait finir par simplifier les chaînes d’approvisionnement.

« Le public a de plus en plus conscience de la nécessité de soutenir les économies nationales et régionales en s’approvisionnant en matières premières au niveau local, ce qui peut également contribuer à rationaliser la chaîne d’approvisionnement et à réduire les frais de transport », poursuit-il. « Les chaînes d’approvisionnement entièrement automatisées, ou cognitives, peuvent parfaitement s’intégrer dans un modèle commercial “glocal” et offrir un certain nombre d’avantages ».

A-Change_content_images_1.4

Les grands entrepôts régionaux traditionnels ont toujours leur place, mais la livraison à domicile sur le « dernier kilomètre » nécessite une approche différente pour maximiser son efficacité. Photo : Exporta

Coexistence passée, présente et future

Les modèles traditionnels qui s’appuient sur des approches statistiques historiques pour les prévisions de la demande ne sont pas assez réactifs ou flexibles. Les mégadonnées peuvent aider, mais seulement si le traitement des données est suffisamment rapide pour réagir aux changements succincts sur les marchés locaux. Cela signifie-t-il que les jours sont comptés pour les grands entrepôts régionaux traditionnels qui font office de nœuds de distribution ? La réponse est non, du moins si l’on en croit l’énorme succès d’Amazon, dont les entrepôts figurent parmi les plus grands. Ils sont également parmi les plus automatisés, avec ceux de l’entreprise d’épicerie en ligne Ocado.

Dans un avenir prévisible, les deux modèles fonctionneront côte à côte. Le modèle du commerce de détail est certes meurtri, mais il n’est pas encore mort. Dans le modèle de la livraison à domicile, la gestion logistique doit se concentrer sur le “dernier kilomètre”, lequel représente la partie la plus coûteuse de cette chaîne de valeur.

« Les gens parlent, depuis un certain temps déjà, des livraisons par drone comme étant l’avenir, mais je ne vois pas comment cela pourrait se concrétiser », déclare Don Marshall. « Les drones sont très limités, aussi bien en ce qui concerne ce qu’ils peuvent transporter, que là où ils peuvent aller. Une flotte de drones de livraison traversant les villes, c’est quelque chose qui n’arrivera jamais, surtout si vous vivez près d’un aéroport ».

L’automatisation de l’entrepôt est déjà bien avancée et l’intégration industrielle de niveau 4.0 est la prochaine étape. Le commerce de rue survivra, car les gens sont sociables, la mode est sociale même si le modèle centralisé des magasins où les consommateurs se rendent et collectent leurs achats reste efficace sur le plan logistique et présente des avantages d’échelle sur le plan environnemental. Le défi logistique consistera à rendre la livraison sur le dernier kilomètre aussi rentable, fiable et pratique que pour le modèle traditionnel.

A-Change_content_images_1.5

« Une flotte de drones de livraison traversant les villes, cela n’arrivera jamais ».

Voir également notre article « le dernier kilomètre »

(1) Jeremy Nettle, chef du conseil municipal de Salisbury. Les faits sont rapportés dans le Salisbury Journal du 19 décembre 2019.

(2) Rapport Emarketer : Allemagne, commerce électronique 2019, juillet 2019.

Print